Pauvre Jacques

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L'histoire de "Pauvre Jacques"

Marie-Françoise Magnin, l'héroïne de Pauvre Jacques

Jacques et Marie-Françoise, par Jacques Rime, lors de la Création du Pauvre Jacques de Conrad Overney et Jean-Marie Kolly, président et directeur de La Cantilène en 1987

 

Dans un paragraphe consacré aux Gruériens célèbres à Paris inséré dans l'ouvrage qui vient de paraître sur La Gruyère dans le miroir de son patrimoine1, aux côtés de Jean-Pierre Tercier (1704-1767), originaire de Vuadens, qui supervisait les différents bureaux du chiffre des Affaires Etrangères, figurent deux femmes : Marie Thérèse Amélie Willermaulaz (1753-1816), originaire de Charmey, qui n'est autre que l'épouse et l'inspiratrice du célèbre Beaumarchais durant la période révolutionnaire2 et une certaine Marie-Françoise Magnin (1760-1835), de Marsens, une grande oubliée parmi les femmes gruériennes ayant marqué leur temps puisque totalement absente, au même titre que La Catillon, de l'ouvrage Histoire au féminin qui vient de paraître sur le beau sexe en Gruyère.

1 Voir notre article: «Impacts de la Révolution française et de la Contre-révolution en Gruyère (1781-1815) » in La Gruyère dans le miroir de son patrimoine, Bulle 2011, tome 3 : «Pouvoirs et territoires ''· sous la direction de Christophe Mauron et Isabelle Raboud-Schüle, p. 51-65. Editions Alphil. Catalogue du Musée gruérien.

 

 

Au XVIII' siècle, le retour à la nature était très tendance du côté de la famille royale à Versailles. En 1773 à Paris, une fameuse laiterie fribourgeoise avait été établie par Herrenschwand3 et « en 1785, Antoine Buchs, fermier réputé de Marsens, choisit vingt vaches et deux taureaux pour une ferme de Rambouillet » que son fils Joseph conduisit en Ile-deFrance4. C'était l'époque où notre contrée fournissait de nombreux troupeaux gruériens aux familles princières de France. Marie-Françoise Magnin, née le 25 mai 1760 à Marsens et décédée le 5 janvier 1835 à Bulle, était la fille de François-Joseph Magnin, fermier à La Buchille, à Bulle et de Marie-Claudine Bosson, de Riaz. Cinq enfants naquirent de cette union.5 A noter que l'on peut toujours voir l'habitation de la ferme de la Buchille telle que la connurent les protagonistes de cette histoire.

Le père de Marie, fille aînée du colonel d'Affry, chargée par Madame Elisabeth de lui trouver quelqu'un capable d'organiser et de diriger sa vacherie de Montreuil près de Versailles, en éloignant l'encombrant amoureux qui, d'ailleurs, avait également servi dans le régiment des Gardes Suisses. En 1783, Louis XVI avait fait cadeau à sa soeur d'une grande demeure à Montreuil où Madame Elisabeth régnera comme la reine tient sa cour à Trianon. Elisabeth, bienfaitrice des habitants de Montreuil, distribue le lait, les oeufs et les légumes de sa maison aux enfants et aux personnes nécessiteuses. 

deux fiancés convolent en grandes pompes en l'église Symphorien de Versailles, le 10 mai 1789, en présence d'une Cour occupée à essuyer une larme tandis que débutaient les Etats généraux.

8 Annales Fr/bourgeoises, 1922, no 4, 1923 no 2 ct 3. Voir de Denis BUCHS: "Pauvre Jacques de Madame Elisabeth de France (1757-1836)" in: Cahiers du Musée Gruérien, 1991.

Voici le texte de cette romance, si émouvante pour nous qui savons que ces paroles sont mises dans la bouche d'une Marsensoise, Marie Magnin si malheureuse loin de son amoureux :

 

«Pauvre Jacques quand j'étais près de toi,

Je ne savais pas ma misère.

Mais à présent que tu vis loin de moi,

Je manque de tout sur la terre (bis).

Quand tu venais partager mes travaux

Je trouvais ma tâche légère

T'en souviens-tu? Tous les jours étaient beaux.

Qui me rendra ce temps prospère.

Pauvre Jacques quand j'étais près de toi,

Je ne savais pas ma misère.

Mais à présent que tu vis loin de moi,

Je manque de tout sur la terre (bis).

Quand le soleil brille sur mes guérets,

Je ne puis souffrir sa lumière.

Et quand je suis à l'ombre des forêts,

J'accuse la nature entière (bis).

Pauvre Jacques quand j'étais près de toi,

Je ne savais pas ma misère.

Mais à présent que tu vis loin de moi,

Je manque de tout sur la terre (bis) ».

 

Cette romance aurait dû plutôt s'appeler «Pauvre Marie» si l'on ne faisait pas toujours la part belle aux hommes. Il faut bien entendu savourer cette romance naïve - dont rappelons-le selon certains, la reine Marie-Antoinette en personne aurait écrit les paroles - embellie de son air délicieux. Guy Breton dans ses Histoires d'amour de l'histoire de France, raconte, qu'enfermée à la tour du Temple, après la chute de la monarchie, le 10 août 1792, l'ex reine MarieAntoinette « interprétait Pauvre Jacques, cette romance qu'elle avait composée naguère à Trianon avec Mme de Travanet

 

 

L'air du Pauvre Jacques, précisément, rencontra tant de succès auprès des âmes sensibles que sa mélodie trouvera tout début 1793, suite au procès et à l'exécution de l'ex roi des Français, à se recycler dans la complainte de Louis XVI aux Français : "Ô mon peuple, que vous ai-je donc fait ? Vendu à 100’000 exemplaires, l'air de «Pauvre Jacques» devint un signe de ralliement des royalistes. Voilà comment une petite Marsensoise contribua, bien malgré elle, à écrire une page de la grande Révolution française.

Le refrain de la complainte de Louis XVI aux Français est le suivant:

Ô mon peuple que vous ai-je donc fait?

J'aimais la vertu, la justice;

Votre bonheur fut mon unique objet

Et vous me traînez au supplice.

Le 31 octobre 1807, René-André-Polydore Alissan de Chazet fait représenter, pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Vaudeville, une comédie en trois actes et en prose intitulée tout simplement «Pauvre Jacques».

Le 19 mars 1790, Marie-Françoise donna naissance à Marguerite, l'unique enfant du couple. Tous deux furent «persécutés pour leur attachement à l'auguste maison des Bourbons »10

A la fin du printemps, Marie-Françoise est emprisonnée et souffrira beaucoup en détention, tandis que Jacques parvient à regagner la Suisse avec leur fille. La chute de Robespierre sauvera la vie de cette femme d'exception dont nous n'avons pas de portrait mais une description: «taille 5 pieds, cheveux et sourcils châtains, yeux gris, nez ordinaire, bouche moyenne, menton rond, front haut, visage brun »11. Dès lors, le couple mènera une vie discrète à Bulle, Marie-Françoise souffrant tout le reste de sa vie des séquelles de son incarcération. Ils n'étaient pas oubliés pour autant. Le 20 janvier 1819, Nicolas de Gady, inspecteur-général des régiments suisses au service de France, intervient auprès de Champcenet, gouverneur du château des Tuileries, afin de procurer «une place à ce brave homme, dont je cautionne les sentiments de religion, de morale et du plus pur attachement à la légitimité»12 . Jacques fut pensionné et décoré par le roi de France. A noter que sa fille eut avec son mari Pierre Glasson, dit du Tonnelier, plusieurs enfants dont le poète et Conseiller national Nicolas Glasson.

 

Pour vous faire une idée de cette fameuse histoire d'amour, vous pouvez visionner le film «Jacques et Françoise» datant de 1991, avec Geneviève Pasquier dans le rôle de notre Marsensoise ou, à défaut, vous contenter de la photo des deux amoureux interprétés par les acteurs, que nous vous présentons ici.

Au moment où nous publions cet article, la pierre tombale qui rappelait sobrement leur destinée à la face sud de l'église de Bulle n'a toujours pas été remise en place. Au fait, à quand un chemin Marie-Françoise Magnin à Marsens ?

Alain-Jacques Tornare